Parmi les pièces remarquables du Musée de Tahiti, se trouve le masque de Tuteponganui, une pièce unique et atypique.
Unique, car aujourd’hui c’est la seule pièce de ce type collectée en Polynésie française. Atypique, car le masque n’était pas un objet particulièrement usité dans la culture polynésienne si ce n’est celui du deuilleur de Tahiti. Ce constat laisse à penser qu’il s’agit d’un masque contemporain à l’arrivée des occidentaux. « Ce masque pourrait avoir été influencé par la présence des missionnaires qui circulaient. J’ai découvert un masque similaire en provenance des îles Cook », explique Tara Hiquily, chargé de collections ethnographiques au Musée de Tahiti et des îles.
Objet de théâtre
Le masque de Tuteponganui, qui mesure 46 x 31 x 31 cm, est en bois de cocotier creusé et orné de faux coquillages dans la même matière. C’est en 1900 qu’Eugène Auguste Charles Caillot en fait l’acquisition. Cet historien visite Tahiti, les Tuamotu et les Marquises entre les mois de mai et de septembre et rassemble alors une importante documentation. A l’époque, les imitations de coquillages auraient été plus nombreuses et rehaussées, semble-t-il, par de la nacre véritable. Le masque proviendrait des Tuamotu et plus particulièrement de l’atoll de Hikueru. « Mais cette information n’a pas pu être authentifiée » précise Tara Hiquily. Quoiqu’il en soit, pour les Paumotu et les Mangaréviens, ce masque représente Tuteponganui, dieu de la mer. Il était utilisé par les pêcheurs de nacre pour raconter des légendes sous la forme de petites scénettes. « Il s’agissait d’une sorte de pièce de théâtre racontant une légende ancestrale généralement dramatique, mais parfois aussi comique dans une mise en scène européenne. C’est ce qui nous fait aussi dire que ce type d’objet est contemporain aux missionnaires. » Des jeux semblables avec masques avaient lieu également à Mangareva et il est possible que ce masque soit d’ailleurs l’œuvre de Mangaréviens.
Don au musée
Dans son ouvrage Mythes, légendes et traditions de Polynésiens publié en 1914, Eugène Caillot écrit : « Cette pièce est jouée encore de nos jours, à Takume, Raroia, Taenga, et même quelque fois, à Nihiru et Hikueru. (…) Pour figurer le roi des mers, un indigène de haute taille met sa tête dans un tronc de cocotier creusé et taillé de façon à représenter une tête humaine monstrueuse pouvant avoir à peu près un mètre de hauteur, sur quarante centimètres de largeur ; cette tête de bois est ornée sur le crâne, le front, derrière, de nombreuses imitations de coquillages, et, parfois aussi, de différentes sortes de végétations marines, qui en sortent presque entièrement, comme des excroissances naturelles. (…) Les indigènes assistent à cette pièce, debout ou assis, sur la place publique du village qui est généralement au centre, devant la maison commune. Comme il fait nuit, ils allument des torches, et avant, ainsi qu’après le spectacle, ils tapent sur un gros tambour fait avec un tronc de cocotier et une peau de requin. » Eugène Caillot en avait fait don au Frère Alain (Joseph Guitton). Ce catholique s’occupait de l’école des Frères et avait créé au sein même de l’établissement le musée des Frères des écoles chrétiennes de Papeete. Ce masque est resté longtemps exposé à l’école des Frères avant que frère Alain n’en fasse don au musée de Papeete, en 1917. Il sera transféré ensuite au nouveau Musée de Tahiti et des îles, à Punaauia où vous pouvez aujourd’hui encore l’admirer.
Dessin d’Eugène Caillot